Nous avons souvent dans nos modélisations, nos schémas, nos user stories, nos bases de données et
nos APIs un petit champ nommé status
, parce que l'anglais ça fait classe.
Et bien je vous le dis tout de bon, ce petit champ qui stocke le statut de votre ressource, il sent mauvais et augure bien des périls, en particulier si vous pouvez le modifier. Il peut être révélateur d'une perte de richesse fonctionnelle de notre solution ainsi que de défauts de cohérences ou de résilience de la conception technique. Bref : Les statuts, ça pue.
Dans l'article précédent, nous nous sommes penchés sur la modélisation de processus métier par des machines à états (ou automates). Nous tirions la conclusion qu'il convenait de baser la rédactions des User Stories sur les transitions plutôt que sur les états afin de faire ressortir les verbes de notre domaine métier. C'est ces verbes qui traduisent le mieux les cas d'usages, c'est-à-dire les intentions des nos utilisateurs. Cette fois ci, nous nous intéressons à la rédaction des critères d'acceptances de ces US, qui peuvent également nous aider à trouver le bon découpage.
En tant que Product Owners consciencieux, nous allons réfléchir à la manière de découper ce modèle en User Stories avec leur lot de tests d'acceptance. Pour le bien de tous, Product Owners, Développeurs et Testeurs, il convient de rédiger ces tests de manière à ce qu'il soient systématisables, voire automatisables. J'aime raisonner en Gherkin, qui nous permet de bien distinguer notre état initial de test, les actions que nous testons et les prédictions que nous faisons sur leurs conséquences. Tentons quelques tests relatifs à la livraison des commandes :
CONSIDERANT que la commande #1234 est prête à livrer
ET que je suis un livreur
QUAND je commence la livraison
ALORS la commande #1234 est en livraison
Plutôt simple ! Continuons :
CONSIDERANT que la commande #1234 est en absence destinataire
ET que je suis un planificateur
QUAND je replanifie la livraison au lendemain
ALORS la commande #1234 est prête à être livrée
Celui-ci ignore beaucoup de détails de la vie réelle, mais je simplifie pour garder les exemples courts. Ici, on peut aussi remarquer que dans la description de mon état initial, je dis simplement qu'une commande est dans un état précis. La connaissance des étapes nécessaires pour parvenir à cet état doit être partagée entre product owner, développeurs et testeurs.
Comparons maintenant à une rédaction alternative de ces tests qui s'appuie d'abord sur les états de notre diagramme plutôt que sur les transitions.
CONSIDERANT que la commande #1234 a le statut "prête à livrer"
ET que je suis un livreur
QUAND je change le statut de la commande #1234 à "en livraison"
ALORS la commande #1234 a le statut "en livraison"
CONSIDERANT que la commande #1234 a le statut "absence de destinataire"
ET que je suis un planificateur
QUAND je change le statut de la commande à "prête à livrer"
ALORS la commande #1234 a le statut "prête à livrer"
Tout de suite, nous remarquons que ces tests sont moins intéressant à lire (et je vous laisse imaginer
quant à leur rédaction). J'y remarque aussi une perte de richesse fonctionnelle. Par exemple, on n'y voit plus
apparaître qu'il faut replanifier une livraison pour qu'elle puisse passer de nouveau dans le
statut prête à livrer
. Si on n'est pas précautionneux, on peut alors omettre des éléments fonctionnels
cruciaux dans nos tests et par extension dans nos user stories et donc notre système.
Ce n'est pas tout, jetons un œil aux tests qui nous permettent de vérifier que nous interdisons certaines transitions.
CONSIDERANT que la commande #1234 a le statut "prête à livrer"
ET que je suis un livreur
QUAND je change le statut de la commande à "absence de destinataire"
ALORS un message d'erreur m'informe qu'une commande ne peut pas passer de l'état "prête à livrer" à "absence de destinataire"
CONSIDERANT que la commande #1234 a le statut "prête à livrer"
ET que je suis un livreur
QUAND je change le statut de la commande à "prête à livrer"
ALORS un message d'erreur m'informe que la commande a déjà le statut "prête à livrer"
Nous nageons désormais en plein détail d'implémentation pour des tests qui devraient pourtant décrire d'un point de vue fonctionnel le métier du système. En effet, en approchant le problème par la modification du statut de ma ressource je suis à terme obligé de définir l'exhaustivité de tests d'acceptance pour les transitions légitimes comme celles illégitimes, en rouge dans cette illustration.
La combinatoire risque de nous dépasser, nous risquons d'oublier des cas et de rendre possible un état qui n'a aucun sens dans notre système.
En approchant par les transitions, il suffit de décrire l'état dans lequel doit se trouver la ressource avant d'y appliquer une action en considérant que tous les autres états sont alors illégitimes pour y appliquer ladite action. Vous pouvez alors certes rédiger autant de tests sur les messages d'erreurs mais la logique est alors plus aisée à comprendre à la lecture.
CONSIDERANT que la commande #1234 est prête à livrer
ET que je suis un livreur
QUAND je signale l'absence du destinataire
ALORS un message d'erreur m'informe "vous ne pouvez pas signaler l'absence du destinataire car la commande n'est pas en livraison"
CONSIDERANT que la commande #1234 est en livraison
ET que je suis un livreur
QUAND je commence la livraison
ALORS un message d'erreur m'informe "vous ne pouvez pas commencer la livraison car la commande n'est pas prête à livrer"
Nous nous trouvons désormais avec une collection plus ou moins exhaustive de cas de tests. Ces tests ont l'immense valeur de rendre explicite beaucoup de choses qui auraient pu autrement sembler évidentes pour les Product Owners, comme pour les Testeurs et les Développeurs. Le problème est que l'évidence est souvent très différente pour chacun !
Rendre le maximum de choses explicites peut nous aider à trouver la bonne taille pour découper nos User Stories. Ces tests peuvent nous aider à mieux saisir la complexité ou la taille d'une fonctionnalité.
Certaines équipes estiment la complexité des User Stories par leur nombre de tests de recette. Les tâches les plus simples ne comprennent qu'un seul test. Afin de concevoir des user stories de taille raisonnable, vous pouvez alors construire avec votre équipe le découpage de celles-ci en cherchant à minimiser le nombre de tests de recette par User Story. Vous pouvez par exemple vous adonner à un atelier Tres Amigos.
Baser ses estimations sur le nombre de cas de tests d'acceptance possède également l'avantage d'être plus objectif et moins sujet au biais d'optimisme. Cela permet aussi de délimiter clairement les bornes d'une fonctionnalité afin que tous les acteurs de son développement puissent s'accorder à dire quand elle est terminée.
Considérant cette User Story :
En tant que livreur, je veux signaler l'absence d'un destinataire afin de permettre une replanification
Je peux alors décider d'y inclure ce test de recette :
CONSIDERANT que la commande #1234 est en livraison
ET que je suis un livreur
QUAND je signale l'absence du destinataire
ALORS la commande #1234 a le statut "destinataire absent"
Mais aussi ceux-ci :
CONSIDERANT que la commande #1234 est livrée
ET que je suis livreur
QUAND je signale l'absence du destinataire
ALORS un message m'informe "Vous ne pouvez pas signaler l'absence d'un destinataire car la commande n'est pas en livraison (elle est livrée)"
CONSIDERANT que la commande #1234 est prête à livrer
ET que je suis livreur
QUAND je signale l'absence du destinataire
ALORS un message m'informe "Vous ne pouvez pas signaler l'absence d'un destinataire car la commande n'est pas en livraison (elle est prête à livrer)"
Mais je peux aussi choisir la simplicité et décrire un cas générique :
CONSIDERANT que la commande #1234 est payée
ET que je suis livreur
QUAND je signale l'absence du destinataire
ALORS un message m'informe "Vous ne pouvez pas signaler l'absence d'un destinataire pour la commande #1234"
Ou si on veut prioriser les droits d'accès :
CONSIDERANT que la commande #1234 est en livraison
ET que je suis préparateur
QUAND je signale l'absence du destinataire
ALORS un message m'informe "Vous ne pouvez pas faire cette action en tant que préparateur"
Bref, en piochant quelques tests de recette, nous pouvons concevoir une User Story cohérente de taille raisonnable. Rappelons nous seulement que beaucoup de petites User Stories sont préférables à peu de grosses car elle permettent un feedback bien plus rapide et donc plus d'occasions de s'adapter à temps.
Je trouve qu'il est plus aisé de concevoir ses critères d'acceptance lorsqu'on part du principe
que personne ne modifie directement le statut d'une ressource. Les utilisateurs du système lancent les interactions qu'ils
ont avec lui (les cas d'usages ou même les commandes). C'est les verbes du métier (le nom des transitions) qui se retrouve dans la section
QUAND
(WHEN
) de nos tests Gherkin. Quant aux sections ALORS
(THEN
), elles sont les indicateurs de la plus
petite unité de découpage possible de votre fonctionnalité, elles modélisent une attente de l'utilisateur de manière
atomique.
Ces interactions ont une influence sur le statut d'une ressource que l'on peut alors vérifier. Décrire qu'une ressource est dans un certain état revient alors à lister les transitions qui lui ont permis de l'atteindre.
Consulter l'état d'une ressource nous permet alors de savoir si une commande donnée peut y être appliquée ou non. Cette consultation relève donc de l'aide à la décision, c'est la lecture du statut qui permet à l'utilisateur de lancer la bonne1 interaction.
Ces tests de recette peuvent constituer la base du découpage de nos User Stories.
Du coup, quand peut on parler de statuts dans nos User Stories ? Dans le prochain article, nous verrons quelle est la place des statuts dans notre langage omniprésent (Ubiquitous Language)
[1]: La bonne interaction est celle qui sera acceptée par le système ET qui a le meilleur sens métier.