Les statuts, ça pue (part. 3) : Les statuts, ça se lit

Nous avons souvent dans nos modélisations, nos schémas, nos user stories, nos bases de données et nos APIs un petit champ nommé status, parce que l'anglais ça fait classe.

Et bien je vous le dis tout de bon, ce petit champ qui stocke le statut de votre ressource, il sent mauvais et augure bien des périls, en particulier si vous pouvez le modifier. Il peut être révélateur d'une perte de richesse fonctionnelle de notre solution ainsi que de défauts de cohérences ou de résilience de la conception technique. Bref : Les statuts, ça pue.

Les statuts, ça se lit

Dans les articles précédents, nous avons vu comment, en analysant une machine à états, il était préférable de privilégier les verbes qui y figurent pour transcrire nos User Stories et dans nos tests de recette. Il apparaît alors un élément récurrent : on n'écrit pas un statut. En tout cas nos utilisateurs n'expriment pas cette intention 1. En revanche, les statuts font bel et bien partie du Langage Omniprésent décrit dans DDD. Ils sont essentiels à la compréhension partagée du métier de notre système d'informations. Quelle est alors leur place dans notre conception ?

L'aide à la décision

Pour nos applications classiques, on cherche à faciliter les interactions entre nos utilisateurs et notre application. Nos utilisateurs doivent décider quelles interactions lancer : Publier un article, Préparer une commande, Enregistrer un brouillon, etc. C'est cette décision qui nécessite le concept de statut, en particulier lorsqu'il s'agit d'un système qui coordonne plusieurs personnes ou plusieurs équipes. Les utilisateurs ne s'intéressent alors qu'à un sous-ensemble des ressources qui portent le statut qui les intéresse.

Changeons un peu de domaine et parlons factures :

Que faire d'une facture ? (J'aime les fonctionnalités comptables car elles sont faciles à prioriser par la valeur !)

On peut très bien imaginer que les actions « recevoir un paiement » et « signaler un retard » puissent être automatiques, nous n'allons donc pas spécialement en parler ici.

L'aide à la décision peut alors se décliner en 2 cas de figure :

  1. Que faire à propos de la facture #5678 ?
  2. Quelles factures nécessitent une relance ?

Nos statuts jouent ici un rôle prépondérant pour répondre à ces questions.

  1. Il est possible de valider le montant du paiement ou d'invalider le montant du paiement parce qu'elle a le statut paiement_reçu
  2. Les factures #5678, #7890 et #1245 nécessitent une relance parce qu'elles ont le statut délai_échu ou montant_insuffisant

On peut imaginer que nos utilisateurs soient organisés de manière à être chacun responsable de tâches bien précises. Par exemple :

Nous aurons alors des User Stories qui ressemblent à celles-ci :

En tant qu'Alice, je veux lister les commandes qui ont le statut paiement_reçu afin de vérifier leur montant

En tant que Bob, je veux lister les commandes qui ont le statut délai_échu ou montant_insuffisant afin de relancer les débiteurs

En tant que David, je veux lister les commandes qui ont le statut excédent_paiement afin de régulariser

C'est bien ces fonctionnalités de consultation qui permettent à nos utilisateurs de lancer les bonnes actions ensuite, sans erreurs. Les bonnes actions sont celles qu'il faut faire, qu'ils peuvent faire et qui seront valides.

On peut également imaginer le cas d'une autre équipe, beaucoup plus réduite, où c'est la même personne qui s'occupe de toutes les factures. Il peut alors être légitime de prioriser d'autres fonctionnalités du type :

En tant qu'agent de facturation, je veux lister les actions qu'il est possible de faire sur une commande, afin de la traiter

L'aide à la conception !

En continuant sur notre exemple précédent, on peut remarquer le cas curieux de ces 2 User Stories :

En tant que Bob, je veux lister les commandes qui ont le statut délai_échu ou montant_insuffisant afin de relancer les débiteurs

En tant que Charlotte, je veux lister les commandes qui ont le statut délai_échu ou montant_insuffisant afin de lancer un recours juridique

Ces deux utilisateurs semblent se baser sur les mêmes informations pour prendre des décisions différentes. Cependant, nous savons intuitivement qu'il existe une règle métier qui indique par exemple le nombre de relances à faire avant de lancer un recours juridique ou alors le temps passé sans paiement.

Dans notre cas, nos utilisateurs vont probablement se baser sur d'autres informations relatives à une facture :

Si ces informations sont utiles, alors on pourra concevoir les User Stories qui apportent ces informations à l'utilisateur.

On peut également concevoir des statuts plus précis, taillés pour l'utilisateur qui va les consulter :

En tant que Charlotte, je veux consulter les factures qui ont le statut recours_nécessaire

Que veut dire recours_nécessaire ? Il peut s'agir, par exemple, des factures qui ont à la fois :

Ces critères se basent à la fois sur le statut d'une ressource ainsi que sur les ressources qui y sont liées. Ici il s'agit des relances et des recours. Il est également à noter que ce statut n'a pas de sens en dehors de l'aide à la décision, il est utilisé uniquement pour de la consultation.

L'interface entre domaines métiers

Nous remarquons que nous avons délimité une frontière entre 2 domaines fonctionnels ! Dans les exemples précédents, l'avènement d'un status recours_nécessaire permet de fusionner le détail de plusieurs statuts de gestion en un seul. C'est ce statut qui est intéressant pour le domaine voisin du recours juridique. Les utilisateurs de ce domaine fonctionnel n'ont qu'à lire les dossiers qui correspondent à ce statut, sans se préoccuper du détail. On peut le formaliser comme ceci par exemple :

recours_nécessaire = délai_échu | montant_insuffisant

On remarque également que cela signifie qu'une facture peut avoir 2 statuts différents à un moment donné. En effet, une facture peut très bien apparaître à la fois dans la liste des factures échues et dans la liste des factures nécessitant un recours juridique. Ce sont des utilisateurs différents en revanche qui consultent ces 2 listes.

Une intuition du Domain-Driven Design consiste à modéliser ceci sous la forme de 2 contextes différents, chacun ayant une seule entité désignant une facture qui peut se trouver dans un état à la fois, dans chaque contexte. Ceux-ci sont appelés Bounded Context et servent à encapsuler une certaine complexité fonctionnelle que les autres contextes n'ont pas besoin de connaître.

Ceci implique alors de définir quel sous-ensemble d'informations transitent entre ces contextes. C'est bien là que nos statuts peuvent jouer un rôle : en tant que composant de l'interface qui lie les Bounded Contexts entre eux.

Les statuts en tant qu'interface entre contextes

Pour reprendre l'exemple précédent, les utilisateurs qui se chargent des recours juridiques ont un travail facilité en pouvant consulter rapidement les factures qui en nécessitent. Ils pourront alors gérer tout un cycle de vie propre au domaine des procédures juridiques. De même, les utilisateurs qui gèrent les factures au quotidien peuvent voir un statut procédure_en_cours sur certaines factures, sans pour autant s'intéresser au détail des procédures.

En faisant quelques suppositions sur un domaine juridique que je ne maitrise pas, on peut par exemple avoir :

procédure_en_cours = greffes_saisies | accusé_reception_tribunal | audience_planifiée

Les différentes contextes rendent disponibles entre eux une information synthétique, par l'intermédiaire d'un statut, de leur considérations internes. Cette synthèse est régie par les règles métiers propres à chaque contexte. Ce sont ces règles qui constituent une partie de la valeur de noter système.

En termes plus formels, on dira qu'un statut est une projection d'un ensemble de données. En d'autres termes, réduire des informations sur plusieurs dimensions (identifiant, statut, ressources liées, historique, etc.) à un nombre plus réduit de dimensions. Pour des statuts, on cherche à réduire à une seule dimension discrète. Si toutes, les bonnes données sont disponibles, alors il est facile de déduire de manière déterministe le statut d'une ressource. Pour caricaturer, disons qu'on peut calculer le statut d'une ressource avec une requête SQL bien calibrée. C'est donc une opération de lecture pure.

Attention tout de même, les statuts peuvent constituer une partie de l'interface d'un contexte. En revanche, l'interface d'un contexte ne peut pas se réduire un ensemble de statuts et tous les statuts n'ont pas vocation à faire partie de l'interface.

Pourquoi ne pas écrire alors ?

Au vu des paragraphes précédents, on peut être tenté de se dire que si les statuts servent de vecteur d'informations entre contextes (et donc entre équipes dans notre exemple), alors il peut être légitime que l'utilisateur Bob puisse demander l'écriture du statut recours_nécessaire explicitement dans le système à l'attention de Charlotte. C'est un choix d'implémentation possible mais présente les limites suivantes :

Enfin, si notre système apporte aussi peu de valeur que « faire passer des messages préformattés entre équipes », alors il faut s'interroger sur l'opportunité d'utiliser des e-mails plutôt que de développer un outil ad hoc. D'ailleurs, c'est probablement l'opportunité de demander aux équipes ce qu'elles en pensent 😉.

En résumé

Les statuts prennent tout leur sens dans les scénarios de Consultation. Ils nous permettent d'exprimer facilement quelles actions nos utilisateurs peuvent lancer en fonction de leur rôle. Ils leur permettent également de choisir efficacement quelles commandes ils doivent lancer. Ce sont les statuts qui aident les utilisateurs à apprivoiser la complexité du système par l'attribution d'un vocabulaire spécifique à une information synthétique.

En revanche, il y a des limites. L'historique d'une ressource peut être complexe à décrire pour atteindre un statut donné et il sera alors peut-être plus facile d'exprimer le statut d'une ressource en fonction d'autres ressources qui lui sont associées. Le corollaire, c'est qu'il devient alors impossible de forcer (c'est-à-dire d'écrire) le statut d'une ressource sans décrire ces ressources associées. En poussant encore plus loin, on peut conceptualiser certaines de nos transitions comme des créations, des suppressions ou des modifications de ressources associées.

Pour maitriser cette complexité, on peut alors aussi considérer les statuts comme une partie de l'interface qui existe entre plusieurs Bounded Contexts.

On peut résumer ces considérations par ce mantra : « les statuts, c'est en lecture seule »

Dans le prochain article, nous intéresserons aux 2 différents cas dans lesquels nous pouvons écrire un statut justement.

[1]: Il existe des exceptions evidemment ! Nous en parlerons (enfin) dans l'article suivant